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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Mélodie

(Voir le livre Histoire et poétique de la mélodie française )

Après une première partie consacrée à la romance (définition, évolution, esthétique et sociologie : de l'art de cour à l'art de salon, du romantisme à la bourgeosie...), les auteurs s'efforcent de comprendre comment, aux alentours de 1830, s'invente la mélodie. Le contexte est aux mutations économiques, à l'émergence politique d'une classe qui sacralise l'art et croit que la signification des sons recouvre celle des mots auxquels ils sont associés. L'Angleterre est à la fois admirée et honnie : le nom de baptème de la "mélodie" et le succès musical des irlandaises de Thomas Moore témoignent de cette ambiguité. Mme de Staël aidant, l'Allemagne a le vent en poupe : Schubert et Schumann arrachent la mélodie française à la fadeur de la romance, comme à l'extériorité et au pathos du tout-puissant opéra.

La nouvelle problématique de la forme est perceptible à travers les mélodies de Berlioz, Gounod, Félicien David, Lalo, Bizet et César Franck : Vincent Vivès l'analyse. Puis, avec le piano qui l'accompagne, la mélodie française apparaît à Michel Faure comme l'expression 1°) du "juste milieu" social (entre aristocratie et peuple) qui prévaut alors; 2°) de la place qu'occupe alors la femme dans la société choisie (sociabilité, offrande de beauté, d'amour et de piété légitimant la richesse acquise, responsabilité du dressage somatique des futurs cadres de la bourgeoisie...; et 3°), avec discrétion, de l'inquiétude qu'engendrent l'industrialisation, l'urbanisation et la misère des classes dangereuses... Bref, la mélodie panse les blessures que le siècle inflige aux créateurs et aux mélomanes au moyen de quatre ou cinq thérapies : l'amour, l'intimisme, l'évasion, l'art et la beauté. L'esthétique de ce genre musical, Vincent Vivès le démontre, est liée à celle du Parnasse. Liée aussi au traumatisme de 1870 à la suite duquel il conquiert son modèle. La mélodie française s'oppose alors au Lied allemand. Pour Michel Faure, elle est symbole de délicatesse et de litote face à la lourdeur délayée des symphonies et tétralogies d'outre-Rhin. En outre, son évolution rature symboliquement l'évolution démocratique de la IIIe République. Tout se passe en effet comme si l'élitisme ostentatoire de la mélodie française -forme et musique raffinées, sujets de prédilection aristocratiques (amour, oisiveté, fêtes galantes dans une nature policée, références culturelles...) avait pour fonction de jeter un voile sur la réalité d'une richesse souvent brutalement acquise et sur une économie sacrifiant délibérément la nature et la terre. De même, le clair de lune si cher à la mélodie française protesterait-il à sa manière contre l'impitoyable lumière du positivisme triomphant ? Certes, le petit peuple et le folklore apparaissent en filigrane dans les mélodies de Charpentier, de Séverac, de d'Indy, de Ropartz, de Canteloube..., voire, chez d'autres compositeurs, le sexe, le sentiment religieux, l'angoisse de la guerre ou la réalité de la mort. Mais ce genre musical est d'abord affaire de littérature. Ce n'est pas par hasard que Baudelaire, Verlaine ou Mallarmé inspirent si souvent et si magnifiquement nos compositeurs. Durant le premier âge d'or de la mélodie française -celui de Duparc, Chausson, Fauré, Debussy, Ravel, Reynaldo Hahn...-, le poème devient le modèle opératoire du discours musical.

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