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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Histoire et poétique de la mélodie française

18 décembre 2001

Le Lac

Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais, sur l’océan des âges,
Jeter l’ancre un seul jour ?
Ô lac, l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde, je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur tes pieds adorés !

Un soir t’en souviens-tu ? nous voguions en silence,
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Ô lac, rochers muets, grottes, forêts obscures,
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit gardez, belle nature,
Au moins le souvenir.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l’on voit ou l'on respire,
Tout dise : ils ont aimé.

Lamartine, Méditations poétique

Sérénade

Quand tu chantes, bercée
Le soir entre mes bras,
Entends-tu ma pensée
Qui te répond tout bas ?
Ton doux chant me rappelle
Les plus beaux de mes jours.
Chantez, chantez ma belle,
Chantez, chantez toujours.

Quand tu ris, sur ta bouche
L'amour s'épanouit
Et soudain le farouche
Soupçon s'évanouit.
Ah ! le rire fidèle
Prouve un cœur sans détours.
Ah ! riez, riez, ma belle,
Riez, riez toujours.

Quand tu dors, calme et pure,
Dans l’ombre, sous mes yeux,
Ton haleine murmure
Des mots harmonieux.
Ton beau corps se révèle
Sans voile et sans atours.
Ah ! dormez, dormez, ma belle
Dormez, dormez toujours.

V. Hugo, MarieTudor (1833)

L'invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Baudelaire  (1857)

Clair de lune

Votre âme et un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques,
Jouant du luth, et dansant, et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle- au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Verlaine, Fêtes galantes (1869)

Apparition

La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.

-C'était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un rêve au coeur qui l’a cueilli.

L'errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli
Quant avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue
Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées,
Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.

Mallarmé, Premiéres poèmes (1893),
repris dans Vers et proses (1893)

Le Grillon

C'est l'heure où, las d'errer, l’insecte nègre revient de
promenade et répare avec soin le désordre de son domaine.
D'abord il ratisse ses étroites allées de sable. II fait du bran
de scie qu'il écarte au seuil de sa retraite. Il lime la racine de
cette grande herbe propre à le harceler. Il se repose. Puis il
remonte sa minuscule montre. A-t-il fini ? est-elle cassée ? Il
se repose encore un peu. Il rentre chez lui et ferme sa porte.
Longtemps il tourne sa clef dans la serrure délicate. Et il
écoute : Point d'alarme dehors. Mais il ne se trouve pas en
sûreté. Et comme par une chaînette dont la poulie grince, il
descend jusqu'au fond de la terre. On n'entend plus rien.
Dans la campagne muette, les peupliers se dressent comme
des doigts en l'air et désignent la lune.

Jules Renard, Histoires naturelles (1894)

Fumée

C'est permis de fumer. Gare !
L'écuyère de Médrano
Quand tu fumes ton cigarge
Saute à travers les anneaux

Cocteau, Poésies (1920)

Fête à Bordeaux

Le manège à vapeur regarde s'en aller
Interminablement le paquebot "Touraine".
Il donnerait tout l'or de sa gloire foraine
Pour défaire sur l'eau son voyage enroulé.

Cocteau, Poésies (1920)

Fête à Bordeaux

Le manège à vapeur regarde s'en aller
Interminablement le paquebot "Touraine".
Il donnerait tout l'or de sa gloire foraine
Pour défaire sur l'eau son voyage enroulé.

Cocteau, Poésies (1920)

Fumée

C'est permis de fumer. Gare !
L'écuyère de Médrano
Quand tu fumes ton cigarge
Saute à travers les anneaux

Cocteau, Poésies (1920)

C

J'ai traversé les ponts de Cé
C'est là que tout a commencé
Une chanson des temps passés
Parle d'un chevalier blessé
D'une rose sur la chaussée
Et d'un corsage délacé
Du château d'un duc insensé
Et des cygnes dans les fossés
De la prairie où vient danser
Une éternelle fiancée
Et j'ai bu comme un lait glacé
Le long lai des gloires faussées
La Loire emporte mes pensées
Avec les voitures versées
Et les armes désamorcées
Et les larmes mal effacées
Ô ma France, ô ma délaissée
J'ai traversé les pont de Cé

Aragon, Les Yeux d'Elsa (1942)

Vivo I

La Mer qui heurte aux récifs de corail
Ses vagues déferlantes approfondit,
Ne trouble pas, la paix du soir,
Et la vie alentour tait ses bruits...
Plaintifs tous deux, près et loin,
Mon creur et le vivo chantent.

A quoi songe-t-il, le sauvage musicien, Sur le rivage,
Et vers qui s'en vont les modulations de son vivo ?
A quoi songe-t-il, sauvage aussi, Ce coeur blessé
Et dites pourquoi, dans cette solitude,
II précipite ses battements ?
En moi tous deux, près et loin,
Mon coeur et le vivo chantent.

Chante, vivo tahitien,
Chante la chanson du matin !
Chanter gaiement, c'est chanter bien !
Ma vahiné, dans les bois,
Comme l’arbre frémissant
Avec l’aube, j'irai chanter en dansant.
Chante, vivo tahitien,
Chante la chanson du matin !
Puis, sur les bords de la mer
Comme les flots agités
En dansant j'irai chanter.

Chante la chanson du matin.
Tu crois dormir et je vois
Tes yeux briller dans les fleurs;
Tu crois dormir et je vois
Tes dents luire sur les flots.
Viens! je chanterai pour toi
Des chants d'amour clairs comme le jour.
Viens ! je danserai pour toi La douce danse de l’amour.

Chante, vivo tahitien
Chante la chanson du matin !
Chanter gaiement, c'est chanter bien;
A l’ombre des pandanus
Tu sais qu'il est bon d'aimer,
A l'ombre des pandanus
Et sur le bord de la mer...

Paul Gauguin, Noa-Noa (1901)

Conférences/Concerts
au CONSERVATOIRE de MARSEILLE,

avec Florence COUDERC soprano,
Nathalie LANOË pianiste
et Michel FAURE essayiste.

 
Dix mélodies françaises présentées

 

Niedermeyer / Lamartine : Le Lac, 1825                 
Présentation : M. Faure écouter 8:55 Musique écouter 5:55
Gounod / Hugo : Sérénade, 1839                 
Présentation : M. Faure écouter 0:44 Musique écouter 3:33
Duparc / Baudelaire : L'invitation au voyage, 1857                 
Présentation : M. Faure écouter 14:12 Musique écouter 3:45
Fauré / Verlaine : Clair de lune, 1887                 
Présentation : M. Faure écouter 3:22 Musique écouter 3:07
Debussy / Mallarmé : Apparition, 1884                 
Présentation : M. Faure écouter 5:47 Musique écouter 3:00
Ravel / Renard: Le grillon, 1906                 
Présentation : M. Faure écouter 4:07 Musique écouter 1:40
Milhaud / Cocteau : Fumée, 1920                 
Milhaud / Cocteau : Fête à Bordeaux, 1920                 
Présentation : M. Faure écouter 4:09 Musique écouter 1:40
Poulenc / Aragon : C, 1943                 
Présentation : M. Faure écouter 6:23 Musique écouter 2:40
Tomasi / Gauguin : Vivo 1, 1957                 
Présentation : M. Faure écouter 4:32 Musique écouter 3:07