Musique et société
Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique
La Danse macabre de Saint-Saëns :
un SOS politico-social avec un rictus d'humour
Saint-Saëns a vécu la révolution de 1848. Il sait combien sont pertinentes les critiques du système capitaliste faites par les socialistes utopistes ou non. Il voit que les idéologies, de Saint-Simon, Proudhon, Fourier, Cabet, Pierre Leroux, Louis Blanc, Karl Marx se répandent chez les artisans et parmi les intellectuels. Il est conscient de la baisse du tonus moral de la bourgeoisie face à la question sociale à laquelle elle est confrontée. Lamartine soutient que la société danse sur un volcan. Edgard Quinet qui s'intéresse aux Esclaves en 1853 et l'historien anglais Macaulay qui le rejoint jugent que, cette fois-ci, ce seront les barbares de l'intérieur qui détruiront la civilisation en place. Dès 1849, une série d'estampes de Rethel intitulée La Danse macabre donne le ton. Sur l'une d'entre elles − l'épée de la mort républicaine − on lit : Justice populaire. Baudelaire remarque ces estampes à l'Exposition de 1859. Il conclut : l'édifice social sera renversé si l'engouement pour les « sottises de la révolution » perdure. Sa traduction de La Chute de la maison Usher d'Edgar Poe paraît en 1855. En 1852, l'Opéra de Paris programme l'Herculanum de Félicien David où Satan, l'ange rebelle, l'ange revu et corrigé par George Sand et la comtesse d'Agoult qui prend le parti des écrasés et des exploités contre le parti divin des bien-pensants, les appelle à la destruction du monde des jouisseurs :
Saint-Saëns en 1856 compose une symphonie (Urbs Roma) où Rome succombe sous les coups des barbares d'Alaric. Six ans plus tard, Flaubert romance la mort de Carthage. En 1862, Camille Saint-Saëns revient à la charge avec son Ouverture pour Spartakus, le drame de Pagès ; et Victorien de Joncières fait à nouveau musique des Derniers jours de Pompéi d'Ed. Bulwer-Lytton, roman paru quatre ans après la révolution de 1830 : son opéra pompéien est représenté à Paris en 1869.
Surviennent Sedan, puis le siège de Paris et la Commune, vécue par beaucoup comme le signe avant-coureur du Grand soir prolétarien. Henri Cazalis, plus connu sous son pseudonyme de Jean Lahore, rime alors sa Danse macabre :
Non sans humour, Saint-Saëns fait de ces vers une mélodie et, l'année suivante, en 1874, un poème symphonique qui en étoffe et en orchestre la substance musicale. On y remarque les 12 coups de minuit, l'aigre sonorité du violon macabre de Rethel, le célèbre thème génialement confié au xylophone, le Dies irae ironiquement joué sur un rythme de valse. Enfin le chant du coq et la dernière phrase de la mélodie dont les mots éclairent la signification de la fable : Oh! La belle nuit pour le pauvre monde, et vivent la mort et l'égalité !
Conclusion : si les classes sociales se mélangent, si les hiérarchies disparaissent, si la démocratisation progresse, la société court un danger mortel. Ce poème symphonique est l'équivalent d'un SOS idéologico-social. En avançant vers la fin du siècle, l'humour disparaît et la névrose sociale tourne à l'épidémie. (cf. Lexique : Névrose fin de siècle)
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