Musique et société
Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique
Hommage, qui pourrait être, au XVIe siècle, celui d'un obligé à son mécène ! Deux ou trois ans plus tard, Winaretta entraîne à Venise son second mari, le prince Edmond de Polignac. Elle y acquiert le palais Contarini dalle figure qui, sur le Grand Canal, devient le palais Contarini-Polignac.
La course aux titres de noblesse, la sublimation de la fortune par la pratique des arts et le mécénat sont caractéristiques de ces années où le 14 juillet devient fête nationale, où les écoles laïques se multiplient, où la CGT s'organise, où les partis socialistes deviennent majoritaires au Parlement, où la civilisation d'élite se change en civilisation de masse. Le retour à l'esthétique des siècles de notre Ancien régime politique et social qui dictait son goût à l'Europe est compréhensible après 1814, après Sedan, après Verdun, après le risque d'une revanche de cette Allemagne dont on avait trop aimé le romantisme, la philosophie et les drames wagnériens. Hier, Winaretta était folle de Bayreuth et de Wagner. Elle avait acquis un manuscrit du maître à grand prix et l'avait placé dans un tabernacle ! Soudain, de Wagner elle passe à l'anti-Wagner type : Erik Satie, auquel elle commande un Socrate gréco-classique. De grâce, nous comprendrions mieux le retournement du goût de l'époque si nous avions à notre disposition la totalité des archives de la princesse. À bon entendeur ! Conseillée par Nadia Boulanger et Wanda Landowska, la princesse de Polignac sponsorise à présent les compositeurs néoclassiques, non seulement en leur commandant de multiples partitions, mais en les aidant à se faire jouer.
J'espère que tous mes auditeurs me comprennent bien : ce n'est pas parce que le retour au baroque se nourrit selon moi d'éléments socialement conservateurs que je ne félicite pas Philippe Beaussant de nous avoir rendu Lully, et Gérard Corbiau ou William Christie de l'avoir fait revivre magnifiquement à l'écran ou sur la scène. Simplement, je souhaite que la composante idéologique du goût soit davantage prise en compte. On nous assure, au temps où son Dardanus résonnait ici même, que les thuriféraires de Rameau étaient en majorité antidreyfusards, ce qui d'ailleurs n'était pas le cas de la princesse de Polignac... Hasard ?
Je rêve à présent qu'on arrache au purgatoire, au-delà des Franck, des Ravel, des Poulenc qui nous sont familiers, tous ceux que l'ostracisme de la nouvelle musique maintient au ban des programmes... Une thèse brillantissime soutenue par Lionel Pons à Aix-en-Provence sous l'égide du professeur Decarsin, démontre à quel point les Jean Françaix, les Tansman, les Hindemith, les Mihalovici, les Martinu, les Sauguet, les Delannoy... mériteraient d'être écoutés sans parti-pris, d'être admirés et... aimés ! Le retour du baroque oblige : il ne faut laisser dormir dans le purgatoire que les maîtres indignes de revoir le jour.
Et pourquoi ne pas avoir le cœur assez large, l'esprit assez compréhensif pour aimer les créateurs d'aujourd'hui comme ceux d'hier, quelle que soit leur époque, quel que soit leur pays d'origine ? Quelle tristesse, quelle honte pour les contemporains de Pergolèse, de Gluck, de Beethoven, de Debussy... s'ils n'ont pas reconnu leur génie et si leur musique ne leur a pas offert sa joie....
5. L. Pons, Le néoclassicisme musical dans ses rapports avec l'Histoire et la mémoire Éléments de définitions, Thèse de Doctorat, Université de Provence, 2008.
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