Musique et société
Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique
A/ le fugato qui ouvre la réexposition,
mais le premier y est simplifié et le second s'ajoute au premier comme s'il le continuait. Mon sentiment ? Les polarisations divine et méphistophélique sont
tellement liées chez Liszt et tellement évidente dans la société l'existence de dominants et de dominés, que ce que j'imagine être leurs figures sonores s'additionne tout simplement ici pour composer le sujet d'une fugue qui sacralise leur dualité.
Une fugue en conclusion d'une sonate, comme dans l'inoubliable opus 110 de Beethoven ? Pas vraiment. Car ici le finale va poursuivre sa route en oubliant complètement son style fugué. Les Encyclopédistes, on le sait, condamnaient la fugue. Selon eux, cette forme musicale radotait. Elle n'était qu'affaire de technique d'écriture à l'adresse des seuls érudits. Rousseau la comparait aux sculptures de la cathédrale de Chartres qui pour lui, « ne subsistaient que pour la honte de ceux qui avaient eu la patience de les faire ! » Les Lumières ne concevaient de musique que parlant le langage des émotions. Elles luttaient contre la mainmise du clergé et de l'Église sur la société dont la fugue était l'emblème. Mon idée est que le retour de la fugue est à mettre en rapport avec la restauration des autels, une fois publiés le Concordat ( 1801 ) et Le Génie du christianisme ( 1802 ). Il s'inscrit dans le sillage de la création du Conservatoire national de Paris et de l'institution du Grand Prix de Rome (1795 et 1803 ). La fugue est savoir, maîtrise, obéissance quasi sacralisés. Elle accepte sans réserve la dictature de son sujet. Hasard ? La Révolution laisse l'Europe à la recherche d'un principe de gouvernement incontesté. Les nations européennes courent vers leur unité. Le coup d'État de 1851 condamne au silence les adversaires de 1848 et Napoléon III demande à Pie IX de venir le couronner. Le livre de Fauquet et Hennion démontre que c'est alors qu'on fabrique La grandeur de Bach. Liszt compose une Fantaisie et fugue pour orgue en 1851. En 1852, il transcrit pour le piano six préludes et fugues de Bach. Puis il introduit un fugato dans sa sonate et achève une nouvelle Fantaisie et fugue pour orgue sur le nom même de Bach. Certes, la fugue est obéissance et savoir, mais elle ne s'agenouille pas forcément devant Dieu. La Damnation de Faust de Berlioz en témoigne avec sa fugue blasphématoire, sinon athée. Liszt connaît bien ce précédent-là. Et son propre fugato se moque pareillement de la divinité comme des règles du genre. La réponse y transpose le sujet à la quinte supérieure sans lui faire subir l'indispensable mutation requise. Et si @ et @' commençaient par se suivre, ils en arrivent à se chevaucher, la fin du sujet devient le contre sujet de son début.
Non. Mesure 531, le combat reprend, fulgurant, sans merci, comme au début. Le petit motif @' trépigne ici ou là à partir d'un fa # grave, puis en clé de sol à partir d'un mi #, puis d'un la #. Les gammes initiales reviennent parasitées par de longues averses grondantes de doubles croches (mesures 569). Revient aussi le thème de l'Absolu avec sa mesure 3/2, cette fois-ci avec cinq dièses à l'armure, donc dans la tonalité de si majeur conformément à la règle ( mesures 600 et suivantes ). Et reviennent naturellement ses questions-réponses à la troisième desquelles répondent, transfigurés, les motifs @' et @. Déception ! L'animadversion et le désir d'en découdre les défigurent à nouveau. La virtuosité de leurs empoignades ravage le clavier. Voici en exemple, fortissimo, prestissimo et fuoco assai, le motif @ précédé d'une cataracte vertigineuse de gammes en octaves simultanément jouées par la main droite et la main gauche, en état de transe jubilatoire.
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