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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Pourquoi pareille citation au milieu du Golliwogg's cake walk du Coin des enfants ? Rappelons d'abord l'admiration que Debussy avait pour Wagner et ce que Pelléas et Mélisande lui doit. Pourtant, quelque géniale qu'en soit la musique, Tristan n'est pour Debussy qu'un beau coucher de soleil que l'on a pris pour une aurore. L'aurore, serait-ce le ragtime et le style à l'emporte-pièce des musiques que vont promouvoir, la Grande guerre passée, Jean Cocteau, son propre jazz band et son Groupe des Six ? Mais Debussy pourrait aussi bien assimiler Wagner et ses admirateurs (disons les gens cultivés de la société occidentale) aux riches propriétaires de l'Amérique sudiste de naguère dont se moquaient, tout en les enviant, leurs esclaves danseurs de cakewalks. Fils d'un ex-communard condamné, Debussy vengerait-il les petites gens, le peuple dont son impécuniosité le rend proche, de la domination méprisante des mélomanes cossus du beau monde? Comme Picasso, comme Toulouse-Lautrec, il admire les clowns et les prostituées ne le scandalisent nullement, même si son snobisme se réjouit d'habiter un hôtel particulier avenue du Bois, devenue aujourd'hui avenue Foch.

Dernière information. Pour mieux comprendre la présence incongrue du motif initial de Tristan dans ce Gollywogg's cake-walk, signalons que Debussy reçoit en juillet 1907 la visite de Gabriel Mourey, poète, écrivain d'art et traducteur de Poe et de Swinburne. Ils parlent du vrai Roman de Tristan que le médiéviste Joseph Bédier vient de révéler au public. Debussy souhaitait redresser la légende du héros déformée et pourrie de métaphysique par Wagner, ennemi déclaré des Français. Mourey et lui en tombent d'accord : Tristan sera le sujet de leur prochain opéra. Quelques thèmes musicaux en sont esquissés. Aussitôt la presse annonce que l'Opéra-comique le programmera sa saison prochaine. Incroyable mais vrai, le Metropolitan Opera de New-York verse lui-même au compositeur un acompte de 2000 francs en juillet 1908 pour en acquérir le droit.

Concluons : tandis qu'il compose son Children's corner, Debussy est obsédé par la légende médiévale de Tristan et Yseult. L'emprunt qu'il fait au Prélude du drame wagnérien s'explique, ainsi que l'ambiguïté avec laquelle il l'insère. Côté face, souvenir ému et admiration; côté pile, une miette dérisoire de la sublimité de Tristan et Isolde servie de façon parodique, avec trois ricanements et deux variations dotées des syncopes obligées qui en brisent le temps, ce qui va de soi dans un ragtime. Deposuit potentes : voici rabaissé l'orgueil du chef d'œuvre ...

Golliwogg's cake walk motif Tristan Isolde, notes

 

La première audition de ce Golliwogg's cake walk eut lieu, le 1er décembre 1908 au Cercle musical de Paris. Harold Bauer au clavier joua l'ensemble du recueil dont ce morceau constituait le final. Peu rassuré, le compositeur attendit hors de la salle qu'on vienne lui raconter l'accueil du public.

Ses ennemis étaient nombreux. Craignait-il qu'on ajoute aux injures que lui valait la tentative de suicide sa première femme abandonnée le fait qu'en outre, il écrivait de la musique nègre ? Et cela, l'année-même où il se remariait avec une femme juive et au moment où, à l'occasion du transfert des cendres d'Émile Zola au Panthéon, Alfred Dreyfus, revenu du bagne et innocenté se trouvait blessé de deux coups de révolver. Les Assises de la Seine acquitteron son agresseur, un journaliste d'extrême droite.

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