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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Musique et société Articles La chanson populaire au cœur de l´opéra La Chanson du roi de Thulé et la chanson de Magali

Que nous enseignent in fine ces chansons ?

La leçon musicale du folklore

1°) L'écriture savante peut gagner en légèreté et en simplicité au contact du folklore. Faire référence aux chansons populaires peut inciter les compositeurs à donner plus d'air, plus d'espace aux notes de leurs mélodies.

2°) La chanson de Marguerite et celle de Magali comptent probablement parmi les œuvres qui contribuèrent à arracher la musique haut de gamme aux tempêtes du Romantisme. Rappelons que Gounod aimait particulièrement la chanson provençale du Retour du rossignol :

retour du rossignol

La chanson, que F. Seguin composa sur les paroles de Mistral à la demande expresse du compositeur d'opéras, s'en inspire étroitement.

chanson de Magali

À partir de là, soit Gounod introduisait telle quelle la chanson de Seguin, soit il se l'appropriait, il la réécrivait, il transcendait le folklore. Son choix décida de cette merveille :

Gounod

Audacieux ambitus de septième majeure ; trouvaille du balancement rythmique 9/8 6/8 ; discrétion de l'accompagnement en accords de tonique, de dominante et du second degré sur pédale ; harmonisation qui disparaît tout à fait lorsque Mireille, au début de l'acte IV, chante à nouveau sa chanson ; alliance particulièrement réussie du folklore et de la musique cultivée... Néanmoins, ce n'est pas cette chanson qui devient populaire avec le succès de l'opéra, mais celle qui lui a servi de modèle, celle de Seguin, plus modeste, plus facile à mémoriser, surtout au niveau des couplets.

3°) L'archaïsme peut à l'évidence être novateur. La « Chanson du Roi de Thulé » commence par une ritournelle dont le caractère est un héritage des romances troubadour. Puis le génie se manifeste. La magnifique courbe vocale emprunte au mode de la (l'hypodoristi antique devenu mode éolien dans la nomenclature grégorienne) sa couleur médiévale. Et les dix premiers accords qui le soutiennent nous restituent un monde sonore perdu depuis plusieurs siècles.

analyser Chanson du Roi de Thule

Gounod a beau en revenir trop vite au mineur et au majeur traditionnels, le coup d'envoi est donné de la redécouverte des modes du plain-chant par les compositeurs de musique profane. Il coïncide avec le fameux retour au gothique dont Ruskin se fait le champion (Les sept lampes de l'architecture paraissent en 1849). En France, sur l'impulsion de la Commission de la restauration des édifices médiévaux mise en place en 1837, les chantiers se multiplient : ceux de la cathédrale de Rouen, de la Sainte Chapelle, de Notre-Dame de Paris... Debret, Alavoine et Viollet-le-Duc dont Le Dictionnaire raisonné de l'architecture du XIe au XVIe siècles paraît entre 1858 et 1868 figurent au premier rang des restaurateurs du gothique. Parallèlement, Berlioz, Gounod, César Franck, Massenet, Fauré, Debussy, Ravel, Maurice Emmanuel... renouvellent peu ou prou l'univers sonore en exploitant la modalité. Grâce à elle, à l'inverse de ce qui se passe outre Rhin, la musique française échappe un siècle durant au chromatisme tonalement destructeur.

4°) Les Chansons du Roi de Thulé et de Magali sont, avec les opéras qui les encadrent, le produit de la nostalgie. Nostalgie du Moyen-âge, alors que la foi décline et que les féodalités celtiques aux mœurs supposées vertueuses se sont évanouies dans la brume des légendes nordiques. Nostalgie des civilisations agraires et pastorales, filles des rivages orientaux de la mer gréco-latine, qui contre-pointe l'exode rural et proteste contre le nombre grandissant des ouvriers. Au XIXe siècle, la révolution industrielle venue du Nord refoule inexorablement ce passé rural. Précieuse, la Provence reste fidèle à ses manades, ses magnaneries, ses vanniers, ses pêcheurs, ses prières et ses superstitions... Mieux : peuplée d'âmes intransigeantes autant que passionnées, cette province cherche à faire renaître, voire à sauver sa langue. Aussi sert-elle de point d'ancrage à cette nostalgie agraire qui se développe en France du Second Empire à la Libération. L'atmosphère géorgique de Mireille apaise et rafraîchit. En écoutant le premier acte de l'opéra et, au troisième acte, la musette et la Chanson du berger qui suivent la reprise en solo de la Chanson de Magali, la terre et le passé nous reconquièrent. Signe des temps, c'est un véritable conflit de classe qui oppose le père de Mireille au père de Vincent. Et c'est par lui que la catastrophe lyrique arrive, comme, dans la réalité, l'exaspération des inégalités sociales engendre l'insurrection des canuts (1831), celles de la rue Transnonain (1834), des journées de Février, de juin 1948... Avis aux riches enfermés dans leurs préjugés et leur égoïsme de classe ! Bien sûr, ni Mistral ni Gounod ne s'appesantissent. Leur volonté est d'alerter, non d'alarmer. Ils souhaitent détourner les regards d'un présent tumultueux en offrant aux idéalistes l'image d'une époque tranquille où, sans apprêt vocal et dans le plus simple appareil instrumental, les voix populaires chantent pour le plaisir, sans se soucier de revendiquer ou de déclencher les applaudissements. Ainsi Mireille est l'un des maillons de la chaîne qui conduit de la pastorale baroque du Tasse, d'Honoré d'Urfé, de Rousseau et du hameau de Trianon, aux romans champêtres de George Sand ; de ceux-ci au désespoir de René Bazin devant « la terre qui meurt » et à l'utopique Regain de Giono, sans oublier l'invraisemblable inflation des « pastorales » qui submerge la musique de Beethoven à Darius Milhaud ; l'ensemble aboutissant à l'agrarisme régressif et sénile du Maréchal...

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