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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Musique et société Articles La chanson populaire au cœur de l´opéra Les variations sur « Au clair de la lune »

LES VARIATIONS SUR « AU CLAIR DE LA LUNE »
(BOIELDIEU,   LES VOITURES VERSÉES, 1808).

 

Problématique: La dialectique musicale entre Paris et la province et la chanson populaire accommodée à la sauce de la musique italienne savante.

 

Boieldieu (1775-1834) commence véritablement sa carrière musicale sous la Convention. I1 devient professeur de clavecin au Conservatoire alors que celui-ci ouvre tout juste ses portes. I1 est engagé comme musicien officiel de la cour de Russie en 1804 et y demeure en fonction jusqu'en 1811, malgré l'arrestation du duc d'Enghien (15 mars 1804) et la brouille d'Alexandre 1er avec Napoléon. Son opéra-comique Les Voitures versées est créé à Saint-Petersbourg, en 1808. De retour en France, notre compositeur reçoit l'appui de Louis XVIII qui le fait nommer professeur de composition au Conservatoire et l'attache à sa musique particulière. L'Institut lui ouvre ses portes. Une reprise de son opéra-comique petersbourgeois a lieu à Paris en 1820.

Le sujet des Voitures versées est sociologiquement instructif. Un noble de province se refuse à entretenir les routes qui traversent ses propriétés pour que les voitures forcées de les emprunter s'y renversent. Chaque jour, ces accidents lui amènent donc un lot de parisiens que son invraisemblable snobisme de provincial accueille avec empressement. En même temps qu'il se moque des nobliaux empressés à les imiter, notre opéra-comique égratigne la mode et les mœurs parisiennes. On y voit comment Paris persuade le monde entier de son incomparable supériorité et à quel point, sous peine de ridicule, la province doit rester à sa place !

Le prestige de Paris auprès des provinciaux...

M. de Dormeuil vit avec ses nièces en son château d'Anjou. Outre l'accueil de leurs hôtes de passage, leurs passe-temps sont la chasse ou la broderie, les promenades dans le parc parmi les jets d'eau et les cascades, le billard, le théâtre et la musique. M. de Dormeuil lui-même chante, il joue du piano, il compose, il enseigne la musique ! Comme tout noble que ses intérêts de propriétaire foncier poussent à rester en sympathie avec ses paysans, il respecte et même il apprécie les fredons populaires. On l'imagine donnant raison au Misanthrope qui préfère la vieille chanson : Si le Roi m'avait donné Paris sa grand'ville... aux « colifichets dont le bon sens murmure » que lui débite Oronte. De fait, Dormeuil lui-même se pique  de bon sens. Les  paroles toutes simples d' Au clair de la lune lui plaisent plus que ces paroles italiennes que la mode musicale impose quoiqu'on n'y entende goutte. M. de Fleurville, son  involontaire invité  parisien, ne partage pas son avis. Nouvel Oronte, il juge gothique la chanson dont Dormeuil lui vante les charmes. Seulement la passion du châtelain pour les nouveautés venues de Paris commande. D'où les variations sur Au clair de la lune qui font la célébrité des Voitures versées. S'agit-il d'une chanson populaire ? Oui. Mais enguirlandée de festons, d'astragales, d'appoggiatures, de vocalises virtuoses dans le plus pur style bel canto ! Avec, bien sûr, ces rimes italiennes imaginées par l'auteur italien Balochi, à la demande expresse du compositeur :

O lieto momento
Del premio amor !
Di dolce contento
Mi palpita il cor !
Già splendor serene
Le stelle nel ciel
Consola, o mio bene,
Quest'alma fede
O moment de bonheur
Récompense d'amour!
De doux contentement
Palpite mon cœur.
Voici briller, sereines,
Les étoiles au ciel.
Console, ô mon amour,
Mon âme fidèle.

Le prestige de la musique italienne en France...

En effet, depuis plus d'un demi-siècle, le goût italien naturalise en France ses acrobaties vocales et ses tempi précipités. Bonaparte chantait faux, mais il avait fait venir d'Italie Paisiello ; devenu empereur, il s'était attaché Paër ; il avait exigé qu'il l'accompagne jusqu'à Varsovie ; de retour à Paris, il lui avait confié la direction de la Chapelle impériale. Bref, à partir de son règne et jusqu'au wagnérisme monomaniaque de la fin du siècle, la musique italienne occupe en France le haut du pavé : musique de prouesses vocales ou instrumentales aussi gratuites que spectaculaires ; musique de divertissement dont raffole le public contre-révolutionnaire et celui des bourgeois en mal de reconnaissance sociale. Les fidèles de la Révolution ont beau lui préférer une musique tenant davantage compte des paroles et des situations, une musique esthétiquement plus proche de celle des Gluck, des Méhul et autres Gossec, la conjoncture politique est défavorable à l'art de ces compositeurs. Les connotations politiques de la musique italienne et de la musique française se sont renversées depuis la guerre des Bouffons. L'italianisme alla Pergolèse était alors l'allié des Lumières, par opposition à l'opéra des Lully et des Rameau, drapeau sonore des puissances sociales conservatrices.

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2- Le castrat Crescentini qui faisait pleurer Napoléon reçut de lui, outre la croix de la Couronne de fer de Lombardie réservée jusque-là aux seuls héros militaires, l'extravagante pension de 30 000 francs !