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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

 

Aux lendemains de la première guerre mondiale, la mélodie française s'offre un deuxième âge d'or. Plus de mélodies sophistiquées; retour au peuple, à la tradition... Le Groupe des Six naît sous les auspices de l'"Esprit nouveau" et grâce au coup d'État esthétique de Jean Cocteau. Placé sous le patronage d'Éric Satie, il est une manière d'"union sacrée". Et, au temps du Bloc national et des "réparations", son manifeste esthétique, Le Coq et l'Arlequin, est une pièce maîtresse de l’armement mental de la France. La mode musicale est aux Cocardes, au néoclassicisme, aux orphéons : il faut avoir l'air national et populaire au moment où les masses se regroupent en partis, en Cartel et en Fronts populaires. Il faut faire confiance à la bonne humeur, à l'hédonisme, à la déculpabilisation du corps lorsque sévit la crise économique et lorsque la peur des fascismes s'ajoute à celle des soviets... Résultat : voici la mélodie de l'entre-deux guerres tiraillée entre une esthétique de l'anti-sublime et le maintien d'un art haut de gamme; entre la mise en question des hiérarchies (dont celles du majeur, du mineur, de leurs degrés, des différents styles, des différentes formes de la musique...) et les restaurations parmi lesquelles celle de la tonalité. Honegger, Milhaud, Poulenc, Roussel, Ibert, Auric... écrivent des chansons, des musiques de film et des opérettes en même temps que des opéras, des symphonies ou de la musique de chambre. Cette diglossie pénètre au cœur de la mélodie. Son hérérogénéité esthétique, caractéristique de l'entre-deux guerres, a tout l'air de répondre aux luttes idéologiques et sociales qui remodèlent et diversifient alors le tissu social et les mentalités. La mélodie change comme la société qui la secrète et la déguste, quoique les mélodistes conservateurs en maintiennent vivante la tradition, malgré le prestige de la langue française en baisse et le public amoureux de la mélodie se rétrécissant. La mélodie amorce même somptueusement sa mutation grâce à quelques Jeune France dont Messiaen et Jolivet. Le premier a beau être un artisan zélé de la reconquête catholique, et le régime de Vichy a beau favoriser sinon officialiser le néoclassicisme, l'élan est donné. La mélodie contemporaine peut naître.

Vincent Vivès ausculte cette nouvelle mélodie qu'illustrent les Claude Ballif, Pierre Boulez, André Boucourechliev, René Leibowitz, Henri Dutilleux, Noël Lee, Paul Méfano, André Bon, Charles Chaynes, Adrienne Clostre, Michèle Reverdy, Philippe Fénelon, Pascal Dusapin, François-Bernard Mâche, Philippe Manoury, Gérard Condé, Cotin Mereanu, Gérard Pesson, Philippe Hersant... Vocalité inédite, énonciation inouïe du texte poétique, émancipation des lois syntaxiques et sonores, exploration rythmique du langage, bilinguiseme, échantillonage, électronique live, remise en question de tous les paramètres et ouverture sur le possible littéraire et musical... La mélodie que naguère on croyait moribonde, tâtonne à présent en direction de modèles inconnus. Plus question de la définir en l'opposant au Lied. Impossible de continuer à soutenir qu'elle voue un amour exclusif à la littérature française, qu'elle est délibérément, voire nostalgiquement aristocratique. Elle est manifestement vivante, riche. Elle fermente, elle court des risques, elle s'éparpille dans le foisonnement individuel des recherches et des trouvailles.

En annexe, Vincent Vivès fait un tour d'horizon des compositeurs étrangers qui, de l'époque romantique à nos jours, ont honoré ce genre de la mélodie française : Liszt, Wagner, César Cui, Frédérick Délius, Albéniz, de Falla, Malipiero, Federico Mompou, Franck Martin, Samuel Barber, Tibor Harsanyi, Konrad Beck, Bohuslav Martinu, Georges Enesco, Igor Stravinsky, Benjamin Britten, Edison Denisov, Wiltold Lutoslawsli...

Enfin, par-delà un important appareil critique et de nombreux exemples musicaux, un index des personnes et des mélodies citées, une table des matières enrichie d'un sommaire complètent ce volume de plus de 400 pages. Son utilisation et sa consultation s'en trouvant par là même facilitées, les auteurs espèrent voir leur ouvrage devenir un livre de référence.

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