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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Barcarolle

 

Venise barcarolle

Il ne semble pas qu'il soit question de barcarolle en France avant le temps de Louis XIV. En 1671, celui-ci reçoit les représentants de la Sérénissime avec un faste tel que Venise, quatre ans plus tard, lui offre en remercîments un jeu de quatre gondoles. Aussitôt, sur les canaux du parc de Le Nôtre, celles-ci participent aux promenades vers les temples de l'amour. En 1686, on comptabilise à Versailles jusqu'à treize gondoliers ; leurs gages atteignent 1 200 livres et leurs costumes de parade, sur ordre du roi, sont particulièrement somptueux. Deux charpentiers de barques vénitiennes viennent bientôt se joindre à eux, à telle enseigne que l'on baptisa Petite Venise les logements construits pour tous ces vénitiens au bout du Grand canal.

Coïncidence ? Une première barcarolle figure en 1679 dans le ballet de Campra Le Carnaval de Venise. Puis, en 1710, sans doute pour répondre au succès de la première, Campra introduisit une nouvelle barcarolle dans ses Fêtes vénitiennes. La Régence reprend la balle au bond ; elle développe le thème des fêtes galantes avec donneurs de sérénades, belles écouteuses et personnages de la commedia dell'arte. Watteau, Marivaux, Couperin se sont illustrés en les mettant en scène.

Le-Carnaval-de-Venise

Survinrent Pergolèse avec ses Bouffons et Rousseau avec sa philosophie plébéienne. Avec eux, les Lumières inclinèrent vers la roture. Rousseau connaissait Venise. Il appréciait les chants de gondoliers. De retour en France, il vanta le charme populaire de la barcarolle. Il contribua à en diffuser le genre. Au même moment, Marie Antoinette rêvait de hameau, de bergers et de moutons enrubannés. Voilà la mode lancée. À son insu la barcarolle s'emploie à rapprocher les ordres privilégiés et le tiers état. En tous cas, les Grétry, les Monsigny, les Paesiello et les Mozart en composent. La barcarolle du Roi Théodore de Paesiello qui date de 1786 rêve de « liberté chérie »....

Passée la Révolution qui n'a que mépris pour les Cythères rocailles et préfère l'action aux promenades sur l'eau, cette forme musicale précise son rythme et le caractère ondulé de sa mélodie ; elle ne veut plus du tempo binaire qui marche, qui s'empresse vers l'avant, elle lui préfère le ternaire, le 6/8, le 9/8 qui muse, qui s'immobilise, qui ferme les yeux au monde qui s'active autour de lui. Ses connotations s'élargissent. Cythère, c'est la cité parfaite où tout le monde s'aime, où tous sont heureux. La barcarolle de La Muette de Portici d'Auber fomente une insurrection sociale pour que le monde idéal sorte de l'eau comme Vénus, celle du Guillaume Tell de Rossini chante la patrie libérée; d'autres parlent de départ vers le nouveau monde...

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