Musique et société
Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique
15 mars 2001
Venise
Dans Venise la rouge,
Pas un bateau ne bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux crénaux
Des arsenaux.
Ah ! maintenant plus d'une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.
Sous la brise amoureuse,
La Vanina rêveuse
Dans son berceau flottant
Passe en chantant.
Tandis que, pour la fête,
Narcissa qui s'apprête
Met devant son miroir
Le masque noir,
Laissons la vieille horloge
Au palais du vieux doge
Lui conter de ses nuits
Les longs ennuis.
Sur la mer nonchalante,
Venise l'indolente
Ne compte ni ses jours
Ni ses amours.
Car Venise est si belle
Qu'une chaîne sur elle
Semble un collier jeté
Sur la beauté.
A. de Musset, Poésies, (1828)
Chanson triste
Dans ton cœur dort un clair de lune,
Un doux clair de lune d'été.
Et pour fuir la vie importune,
Je me noierai dans ta clarté.
J'oublierai les douleurs passées,
Mon amour, quand tu berceras
Mon triste cœur et mes pensées
Dans le calme aimant de tes bras.
Tu prendras ma tête malade
Oh ! quelquefois sur tes genoux,
Et lui diras une ballade
Qui semblera parler de nous.
Et dans tes yeux pleins de tristesse,
Dans tes yeux alors je boirai
Tant de baisers et de tendresse
Que peut-être je guérirai .
H. Cazalis dit Jean Lahor,
Chants de l'Amour et de la Mort, (1772)
Les Roses d'Ispahan
Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse ,
Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger,
Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce,
Ô blanche Leïlah ! que ton souffle léger.
Ta lèvre est de corail et ton rire léger
Sonne mieux que l'eau vive et d'une voix plus douce.
Mieux que le vent joyeux qui berce l'oranger
Mieux que l'oiseau qui chante au bord d'un nid de mousse.
Ô Leïlah ! depuis que de leur vol léger
Tous les baisers ont fui de ta lèvre si douce,
Il n'est plus de parfum dans le pâle oranger
Ni de céleste arôme aux roses dans leur mousse
Oh ! que ton jeune amour, ce papillon léger,
Revienne vers mon cœur d'une aile prompte et douce
Et qu'il parfume encor la fleur de l'oranger,
Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse.
C. M. R. Leconte de Lisle, Poèmes tragiques, (1884)
Mandoline
Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Echangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C'est Tircis et c'est Aminte,
Et c'est l'éternel Clitandre,
Qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues
Tourbillonnent dans l'extase
D'une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
P. Verlaine, Les Fêtes galantes, (1869)
Green
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.
J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposée,
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez–la s'apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme enfin puisque vous reposez.
P. Verlaine, Romances sans paroles, (1878)
Le Tombeau des Naïades
Le long du bois couvert de givre, je marchais, mes cheveux
devant ma bouche se fleurissaient de petits glaçons, et mes
sandales étaient lourdes de neige fangeuse et tassée.
Il me dit : "Que cherches-tu ?" -"Je suis la trace du satyre.
Ses petits pas fourchus alternent comme des trous dans un
manteau blanc". Il me dit : "Les satyres sont morts.
Le satyre et les nymphes aussi. Depuis trente ans,
il n'a pas fait un hiver aussi terrible. La trace que tu vois
est celle d'un bouc. Mais
restons ici où est leur tombeau."
Et avec le fer de sa houe il cassa la glace de la source où jadis
riaient les naïades. Il prenait de grands morceaux froids, et les
soulevant vers le ciel pâle, il regardait au travers.
Pierre Louÿs, Chansons de Bilitis, (1894)
Sainte
A la fenêtre recélant
Le santal vieux qui se dédore
De la viole étincelant
Jadis selon flûte ou mandore
Est la sainte pâle étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre ou complie
A ce vitrage d'ostensoir
Que frôle une harpe par l'Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange
Du doigt que sans le vieux santal
Ni le vieux livre elle balance
Sur le plumage instrumental
Musicienne du silence
S. Mallarmé, (1865)
Dieu vous gard'
Dieu vous gard' messagers fidèles
Du printemps, gentes hirondelles,
Huppes, coucous, rossignolets,
Tourtres, et vous oiseaux sauvages
Qui de cent sortes de ramages
Animez les bois verdelets.
Dieu vous gard', belles paquerettes,
Belles roses, belles fleurettes,
Et vous, boutons jadis connus
Du sang d'Ajax et de Narcisse ;
Et vous, thym, anis et mélisse,
Vous soyez les bien revenus.
Dieu vous gard' troupe diaprée
De papillons, qui par la prée
Les douces herbes suçotez ;
Et vous nouvel essaim d'abeilles,
Qui les fleurs jaunes et vermeilles
De votre bouche baisotez.
Cent mill' fois je vous salue
Votre belle et douce venue
Ô que j'aime cette saison
Et ce doux caquet des rivages
Au prix des vents et des orages
Qui m'enfermaient à la maison.
P. de Ronsard,
La Nouvelle continuation des Amours, (1556)
Montparnasse
Ô porte de l'hôtel avec deux plantes vertes
Vertes qui jamais
Ne porteront de fleurs
Où sont mes fruits ? Où me planté-je ?
Ô porte de l'hôtel un ange est devant toi
Distribuant des prospectus
On n'a jamais si bien défendu la vertu
Donnez-moi pour toujours une chambre à la semaine
Ange barbu vous êtes en réalité
Un poëte lyrique d'Allemagne
Qui voulez connaître Paris
Vous connaissez de son pavé
Ces raies sur lesquelles il ne faut pas que l'on marche
Et vous rêvez
D'aller passer votre Dimanche à Garches
Il fait un peu lourd et vos cheveux sont longs
Ô bon petit poëte un peu bête et trop blond
Vos yeux ressemblent tant à ces deux grands ballons
Qui s'en vont dans l'air pur
A l'aventure
G. Apollinaire, (1912)
Bail pour Mi
Ton œil de terre, mon œil de terre, nos mains de terre,
Pour tisser l'atmosphère, la montagne de l'atmosphère,
Etoile du silence à mon cœur de terre, à mes lèvres de terre,
Petite boule de soleil complémentaire à ma terre
Le bail, doux compagnon de mon épaule amère.
O. Messiaen, Chants de Terre et de Ciel, (1938)
Conférences/Concerts |
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avec Florence COUDERC soprano, |
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Dix mélodies françaises présentées | |||
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Introduction | |||
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Gounod / Musset : Venise, 1842 | |||
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Duparc / Jean Lahore : Chanson triste, 1869 | |||
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Fauré / Leconte de Lisle : Les roses d'Ispahan, 1884 | |||
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Fauré / Verlaine : Mandoline, 1891 | |||
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Debussy / Verlaine : Green,, 1886 | |||
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Debussy /Louÿs : Le tombeau des Naïades, 1898 | |||
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Ravel / Mallarmé : Sainte, 1896 | |||
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Milhaud / Ronsard : Dieu vous garde, 1941 | |||
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Poulenc/Apollinaire : Montparnasse, 1945 | |||
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Messiaen / Messiaen : Bail pour Mi, 1938 | |||
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