Musique et société
Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique
Le miracle hélas ! ne dure pas. De nouveau, @ et @' s'affrontent. Ils se harcèlent, se défient, vivamento, stringendo, sempre fortissimo. Ils hurlent con strepito, - entendez : en faisant un bruit de tous les diables. Heureuse détente, mesure 240 @ se pare à présent d'une étincelante joaillerie sonore. Sa menaçante septième diminuée se change en une douce sixte mineure. Le voici tout charme, toute élégance, toute séduction.
Quelle joie d'entendre ces variations sublimes ! Grâce à la Nature ou grâce au Créateur, tout est fluide, tout évolue, tout se transforme. Plus de différence de nature entre la belle et la bête. Plus d'opposition définitive entre les polarisations divine et satanique de chacun de nous. Plus d'antinomie entre le monde des riches et celui des pauvres. Plus de discordance entre le doute et la foi, entre l'action et le rêve. La civilisation aux horizons agraires, quasiment inchangés depuis des millénaires, qui suscitait les doubles de Rameau et les airs variés de Haydn et de Mozart, n'est plus. L'évolution économique et les découvertes de la philosophie bouleversent la musique. Contemporaines de l'idée de transformisme, chère au grand Jean-Baptiste de Lamarck, les variations romantiques que voici sont filles de cette modernisation. Car, loin de se contenter d'orner le chant, la variation romantique le réinvente ; elle n'en conserve souvent que la structure harmonique. À l'entendre, le profane croit que ce sont des musiques nouvelles qui s'enchaînent. Les Variations Diabelli de Beethoven (1823) et les Études symphonique de Schumann de 1837 en témoignent.
L'agitation reprend dans la Sonate en si. C'est à nouveau l'embrouille, le chaos. Liszt n'arrive pas à se vouloir entièrement à Dieu ? Les révolutions et les insurrection entre 1830 et 1848 ne parviennent pas à changer l'inhumaine donne sociale ? Revoici, mesure 298, le thème de la Toute-puissance juste au-dessous d'un ex musical. Il n'apparaît que rarement dans cette sonate que le thème de la dualité
humaine accapare. Mais, selon Liszt, visible ou non, Dieu agit. Il insiste ici de façon pesante et triple forte, mais cette fois armé de quatre # au lieu de deux. Le motif @ lui répond et le remercie pieusement d'être ce qu'il est devenu. Au contraire @' régresse. Retrouvant sa nature première, il réitère en boucle ses doléances neuf mesures durant, au-dessous maintenant de celui qui le domine et l'ignore. En valeurs lentes, rondes, blanches et blanches pointées, voyez : il étale béatement son contentement de soi. Diminuendo et ritenuto molto. Leurs forces mutuelles s'épuisent. Un grand calme s'ensuit. S'élève alors le thème que je désignerai comme, selon le mot de Péguy, celui de l'Espérance, « cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout, qui aime ce qui n'est pas encore et qui sera. Cette petite fille espérance. Immortelle »
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