Il est nécessaire d'activer le Javascript pour naviguer sur ce site.

   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

B/ La virtuosité sommitale dans la Sonate en si

Cette sonate exige les doigts d'un virtuose confirmé. Tout le monde le sait : Liszt adore la pyrotechnie sonore. Le goût qu'il en a répond probablement en son for intérieur à une blessure jamais refermée. Le jour de son premier concert, en effet, il avait alors sept ou huit ans, la morgue des grands seigneurs réunis par Nicolas II Estherázy, lui infligea un inoubliable affront. Sa mère était entrée dans la salle où son fils devait jouer pour la gloire du prince. Elle s'était installée discrètement. Coup de couteau dans le cœur de Franz ! Sous les yeux de son fils et devant tous, l'étiquette la fit sortir sans ménagements, honteuse. Jamais son propre père ne réussit à persuader Liszt que son intérêt était de s'incliner devant les puissants. Pour lui, son génie valait tous les titres de noblesse. Ses audaces en tant que compositeur, ses amours scandaleuses, comme sa virtuosité éblouissante pourraient bien s'expliquer en termes de revanche sociale. S'il donne tant de fantaisies sur des opéras qu'elles aiment aux personnes de la haute société, c'est sans doute parce qu'il ne veut pas leur dédicacer un quatuor à cordes ou même une sonate pour piano entièrement de son cru. Elles n'aiment que ce qui brille. Il leur donne donc du spectaculaire. Avouons qu'il en fait trop. Il n'a de cesse de prouver son excellence. Les besoins ostentatoires de son ego sont insatiables. Il va de comtesse en princesse. Sa foi elle-même exige les extrêmes de la tonsure et de la soutane.

Lorsque le thème de l'Absolu et celui de la petite espérance interviennent pour la dernière fois dans la sonate ( mesures 699 et 710 ), @' ne change guère. D'ailleurs comment le petit peuple pourrait-il tout seul améliorer sa condition ? Nous retrouvons donc le roturier au poing levé, rabâchant ses récriminations sempiternelles dans les sombres faubourgs du clavier, tandis que @ prend son élan et, de tierce en tierce et de rondes en rondes, monte jusqu'au mi d'au-dessus de la portée de clé de sol. Il chante alors de sa voix la plus pure sa septième diminuée descendante et les huit notes qui continuent sa mélodie en commençant par une tierce qui devient majeure.

La sonate de Lizst - contraste

Le tempo est nettement plus lent. Plus d'octaves, plus de triolets précipités. Quel contraste au regard de la violence orgueilleuse et dominatrice de son entrée en scène, mesures 9-12 !

La sonate de Lizst - allegro

Son crescendo devient ici un pianissimo poco rall. Notre grand @ descend toujours deux octaves et même plus, mais très humblement. Puis, respectueux, il écoute chanter en valeurs ultra-lentes d'immenses accords recueillis. Liszt nous confesse-t-il ici son évolution ? Ayant beaucoup perdu de sa superbe, s'agenouille-t-il ici à présent, prêt à recevoir la tonsure et devenir prêtre. Mais pour suivre le fil de mon discours, quelle interprétation politique et sociale donner à ce @ devenu adorant ? La haute société française moins méprisante et moins dominatrice après la Monarchie de Juillet et la Deuxième République ? L'usurpation des particules et des titres de noblesse n'étant plus un délit après 1830, beaucoup se parent illégitimement d'un titre noblesse ou d'une particule. L'exemple des demi-mondaines les dévalorise. Et les grands patrons sont obligés d'accepter que la journée de travail passe de plus de quatorze heures à douze dix ans plus tard, et c'est même le propriétaire d'une grande filature de coton du Pays de Galles, Robert Owen qui prévoit celle des trois huit, huit heures de travail, huit heures de loisir et de huit heures de sommeil, proposition qui deviendra, en 1865, le slogan revendicateur de la Première Internationale. Pas très lisible sur les portées, j'avoue. Passons à l'essentiel.

1     2     3     4     5     6     7     8     9     10     11     12    

3 P.-.A. Huré, Liszt et son temps, Paris, 1987, p.361-377

4 Cf. l'encyclique Quanta cura ou le Syllabus de 1864.