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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Éloignons-nous un instant de l'opéra et voyons à quel point la contestation des Lumières et le goût des mystères de la nuit sont également créateurs de formes musicales. Le Nocturne ? Il n'existerait pas sans les idées réactionnaires de John Field né à Dublin et ayant longtemps vécu en Russie auprès de Nicolas 1er, le gendarme de l'Europe. Chopin n'était guère plus favorable aux Lumières. D'ailleurs, son style pianistique n'existerait pas, d'une part sans les perfectionnements techniques du piano apportés par la révolution industrielle, d'autre part, sans l'élégance exquise et nostalgique de l'aristocratie survivante. Chopin a été la coqueluche des salons légitimistes du XIXe siècle finissant et de la virtuosité décorative du rococo. À l'opposé, ses polonaises et ses mazurkas font de lui le compositeur typique du mouvement des nationalités.

En gros, jusqu'en juin 1848, il y a le XIXe siècle musical des Beethoven, Berlioz, Rossini, Meyerbeer, musclé, optimiste, conquérant auquel succède un demi-siècle musical qui doute de lui-même et de son avenir, qui regarde en arrière d'autant plus que les assises de sa tonalité se trouvent remises en question. La musique est tellement liée aux classes dominantes qu'elle les prévient du danger de subversion sociale qui les menace manifestement pendant ce demi-siècle. Voyez La symphonie Urbs Roma de Saint-Saëns (1856), l'Herculanum de Félicien David (1859), le Spartakus (1863) et Le Déluge (1875), de Saint-Saëns auxquels il convient d'ajouter Les Derniers jours de Pompéi de Victorien de Joncières (1869) et Le Roi d'Ys (1888) composé après la Commune : autant de SOS.

Le désastre espagnol de Napoléon nous donna de ce pays une image terrible jusqu'à ce que Mérimée la corrige avec sa Carmen de 1845. Lors de son voyage dans la péninsule en 1844, Liszt entendit en Andalousie des aveugles jouer des fandangos, des boléros et des jotas aux modulations qui lui causèrent des ébouriffements sans pareils ! Sous le règne d'Eugénie de Montijo, un recueil de chansons ibériques de Sébastiàn Iradier parut en 1864. Lalo en composera sa Symphonie espagnole et, sans aller en Espagne, Bizet y trouva la musique de sa Carmen de 1875. Suivront bien d'autres musiques de couleur ibérique, à commencer par l'España de Chabrier en 1883. Dans le courant idéologique des Orientales de Hugo et des débuts de la conquête de l'Algérie, Félicien David et quelques frères saint-simoniens comme lui vont passer deux ou trois ans en Egypte. Ce compositeur devant lequel se prosternait Berlioz mériterait qu'un grand livre lui soit consacré. Heureusement son Désert de 1844 avec son chant de Muezzin en arabe est cette année au programme de l'agrégation de musique.

Plus près de nous, certains musicologues s'efforcent d'arracher à l'oubli le folklore d'une civilisation agraire que balaye la société industrielle. Grâce à eux et grâce à la restauration catholique, les modes grégoriens rentrent en scène. Solesmes devient une référence. L'École Niedermeyer ouvre ses portes. Gounod utilise le mode de la pour faire chanter à Marguerite sa chanson du roi de Thulé (1859). Le Liber gradualis et le Liber antiphonarius de Dom Pothier paraissent autour de 1880. L'idéologie médiévale glisse vers l'idéologie folklorisante. D'Indy compose sa Symphonie cévenole. Ravel harmonise ses deux recueils de chants populaires. Suivront entre autres ceux de Canteloube et surtout l'œuvre d'un compositeur tel que Bartók. L'idéologie populaire, c'est aussi elle de la classe ouvrière. Nous lui devons plusieurs œuvres, connues ou non, comme Louise et Messidor signées Gustave Charpentier ou Alfred Bruneau, deux amis de Zola. Nous lui devons L'Internationale dont les paroles d'Eugène Pottier datent de la terrible répression des communards et la musique de l'ouvrier lillois Pierre Degeyter(1888). Ce chant devient en 1900 l'hymne du socialisme international avant de devenir jusqu'en 1944, transformé, l'hymne national de la Russie. Les grandes grèves de Decazeville et de Fourmies font alors couler le sang de huit ouvrières, mais aussi celui d'un patron. Les anarchistes brandissent leur drapeau. En réaction, à l'extrême opposé de cette idéologie, Vincent d'Indy propose pour reconstruire la France son chevaleresque et mystique Fervaal. Maurras, lui, prêche le retour à la monarchie à la bourgeoisie qui s'aristocratise. Voici dès 1868, la mélodie Marquise vous souvenez-vous de Saint-Saëns puis sa Gavotte en do mineur. Suivent la Pavane de Fauré (1887), la Forlane de Chausson et, grâce à Tomasini, le retour du clavecin. La Manon de Massenet date de 1888. Celle de Puccini, de 1893. La Suite Bergamasque de Debussy, de 1905 et le Tombeau de Couperin de Ravel de 1917.

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