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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

DE QUELQUES MÉLODIES DE TOMASI

 

IV- Henri Tomasi et Francis Carco

La rencontre de Tomasi et de Carco a lieu en 1938. Francis Carco (1886-1958) est né à Nouméa en 1886 où son père avait un poste d'administrateur. De son vrai nom Carcopino, ce poète est le cousin de Jérôme Carcopino, l'illustre historien de la Rome antique, bientôt ministre du maréchal Pétain. Tous deux sont d'origine corse, comme le compositeur. Mais à l'évidence, leurs options politiques diffèrent. Depuis son enfance en milieu populaire, Henri Tomasi a le cœur à gauche et le défilé des bagnards maintes fois observé de sa fenêtre calédoniennea hanté Carco sa vie durant. Venu à Paris, le poète donne la parole aux laissés pour compte des villes modernes, aux prostituées, aux gens du « milieu » (c'est lui qui donne ce sens à ce Mot).

La bohem et mon coeur

En même temps, il fréquente la bohème artistique : Modigliani, Utrillo, Pierre Mac-Orlan, Max Jacob... Il chante éventuellement ses chansons au « Lapin agile ». L'ouvrage qui le rend célèbre en 1912 s'intitule d'ailleurs La bohème et mon cœur. À partir de 1937 il fait partie du jury du Goncourt aux côtés de Colette. Il a une longue liaison avec Katherine Mansfield.

Nous sommes en 1938. Les totalitarismes épouvantent ou séduisent. La Seconde guerre mondiale s'annoncee. La première des quatre mélodies de Tomasi / Carco a pour titre Prière. Elle parle d'une pauvre cloche fêlée qui tinte dans le matin clair. Elle est le symbole du malheur du monde. Ses secondes mineures simultanées (ré-do#; mi bémol-mi bécarre; la#-la naturel ; ré bécarre-mib ; sol-la b) n'en finissent pas de grincer cruellement. Tomasi et Carco prennent Dieu à partie :« Pourquoi ne veux-Tu pas arrêter le sinistre élan qui propulse ce glas ? Si Tu existes, pourquoi permets-Tu le Mal ? »  

Cargo Tomasi

Rengaine, seconde des quatre mélodies de Carco / Tomasi dénonce un malheur plus circonscrit, plus intime et parfaitement banal : l'éloignement et l'abandon de l'être aimé. Mais la finesse du phrasé vocal et l'émotion qui se dégage en font un pur chef-d'œuvre. « Tu t'en vas. Tu m'écriras des semaines bien gentiment puis tu oublieras ton chagrin dans les bras d'un autre amant. Mon Dieu ! Le train siffle. Tu dois monter... Et pourtant c'était sérieux. »

Du malheur individuel, passons à la misère sociale. En abordant celle-ci, le recueil des quatre mélodies de Tomasi / Carco vire au tragique. Avec Intérieur, le sinistre vide des dancings et des mauvais lieux nous saute au visage.

Cargo Tomasi Interieur

Carco décrit l'ambiance d'un de ces "mauvais temples". Plafond crasseux, éclairage mesquin d'un quinquet à huile. Piano manivelle dont il suffit de faire tourner les rouages pour qu'il serine la musique gravée sur des rouleaux de carton perforés. Il permettait avant nos disques de se passer d'instrumentistes : autant d'économisé.

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