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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

On comprend avec ces chants laotiens, que, pour Tomasi, la grande bleue dont la Corse est le point d'ancrage de sa famille outrepasse de beaucoup les rivages de l'Europe. Le Japon lui-même en fait partie. Les quatre Chants de Geishas de René Dumesnil qu'il met en musique en 1936 en apportent la preuve. Dumesnil est à la fois médecin, critique littéraire et musicographe.

Chacun sait que les Geishas sont à la fois des dames de compagnie et des courtisanes que fréquentent les messieurs de la haute société nippone. Jolies, élégantes, cultivées, en voici quelques unes avec leur instrument favori, doté de 10 ou 13 cordes : le koto.

Geishas
koto

Ce cycle des Chants de Geishas enchaîne Attente, Printemps, Kawaïet Fête à Katsushita. Le matériau musical utilisé ici tourne autour des différentes échelles plus ou moins pentatoniques qui évoquent pour nous l'Extrême-Orient. Henri Tomasi s'inscrit sans complexe dans le sillage de la Princesse jaune de Saint-Saëns, des Pagodes de Debussy, de Laideronette et de Oh ! mabelle tasse chinoise de Ravel... Ce qui surprend dans ce recueil, c'est la place qu'y tient le piano par rapport à la voix. Et c'est qu'il annonce, en oubliant la chanson, les grandes mélodies que Tomasi composera quelques années plus tard sur des textes de Heredia ou de Gauguin, où le piano ne sera plus l'unique instrument accompagnateur de la voix. Non seulement Kawaï, chant et danse de la Geisha offre trente-quatre mesures au piano solo pour trente-huit au piano subordonné, mais dans Printemps, dédié à Jeannine Micheau, le soprano-rossignol répond aux provocations véloces du piano par des vocalises en triple croches et de trilles prolongés !

Fete printemps Katsushika

Voici le motif initial de Fête à Katsushita : il sonne japonais quoique six notes et non cinq le constituent : do#, mi, fa#, la, si, ré#. Le titre de cette mélodie nous informe. C'est jour de la fête du printemps à Katsushika. René Dumesnil a simplement transcrit le nom de cette ville de Katsushika qui existe réellement à une dizaine de km à vol d'oiseau de Tokyo, en Katsushita. Cette cité doit sa célébrité au fait qu'Hokusaï y est né en 1760. Je ne résiste pas au plaisir de vous présenter ici trois de ses estampes : une cascade, une évocation du célèbre mont Fuji et son reflet, un vieil homme sous un arbre.

À en juger par cette jolie phrase de Kawaï chantée sur sol, la, do, ré, mi sol, Dumesnil et Tomasi n'ignorent pas les stéréotypes de l'art japonais selon les Occidentaux.

Kawai

Ajoutons cette notation poétiques: « Oublierai-je jamais la neige des cerisiers ? » À l'évidence, le Japon qu'évoquent ces mélodies prolonge celui de Madame Chrysanthème (1887) de Pierre Loti. On dirait quele surpeuplement démographique de l'archipel du Soleil levant, la concentration de ses industries, l'agressivité de son nationalisme ne sont aucunement dangereux. Pourtant, les Japonais s'emparent de la Mandchourie entre 1931 et 1933. La deuxième guerre sino-japonaise prélude à la Seconde guerre mondiale.

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Voir la dédicace qui figure sur la photocopie d'une de ces mélodies.