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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

DE QUELQUES MÉLODIES DE TOMASI

 

I - De la chanson populaire à la mélodie élitiste

À l'occasion du colloque consacré à Henri Tomasi, j'ai choisi d'étudier quelques mélodies de ce compositeur, parce que ce genre de musique me touche particulièrement et que je lui ai consacré une partie importante de mes travaux. Mon amour de la poésie égale ma passion pour la musique.

En ce qui concerne Tomasi, l'entreprise est difficile parce que les partitions de ce compositeur sont peu accessibles. Je remercie Claude Tomasi de m'avoir ouvert très largement ses archives. Les mélodies de son père ne sont guère chantées, même si le disque récent de Johanne Cassar paru chez le label Indésens fait brillamment exception. Au total, les mélodies dont je vais faire état ne représentent qu'un choix subjectif parmi celles que j'ai travaillées.

À en juger par le nombre de ses mélodies, Tomasi n'est pas un mélodiste de l'importance des Gounod, de Fauré, de Poulenc. Cela s'explique selon moi

1°) parce que ses origines sont très populaires et qu'il ne s'est que tardivement trouvé en contact avec les cercles mondains d'où nait et fleurit la mélodie. Il est né à Marseille, en 1901, dans un quartier populaire. Son père d'origine corse est facteur des P.T.T. Mais il dirige une petite fanfare et tient à ce que son fils fasse des études musicales au Conservatoire.Entre 1909 et 1914, le jeune Henri Tomasi passe tous ses étés chez sa grand-mère à Pinta di Casinca, le berceau de leur famille. Il doit à cet enracinement sa connaissance et son amour des chansons de l'Ile de beauté.

Henri Tomasi profite de la guerre de 14-18 pour tenter déchapper à la violence et à l'invraisemblable tyrannie paternelles. Fort de son bagage musical (solfège, violon, piano, harmonie...), il gagne quelque argent en jouant dans les cinémas muets de Marseille, dans les bordels, parfois dans les hôtels de luxe, mais il arrive souvent que son père le lui confisque. Néanmoins Tomasi apprend sur le tas son métier. Il improvise. Il s'approprie les rengaines à la mode. Il s'initie au jazz. « Cela me donnait une impression d'abjection, de dégoût », nous dit-il. À coup sûr, son goût musical était alors à des années lumière de celui de la « mélodie française ».

Heureusement Tomasi monte à Paris en 1921, nanti d'une petite bourse de la ville de Marseille et grâce à l'aide pécuniaire d'un mécène. Il entre au Conservatoire de la rue de Madrid. Il y suit entre autres classes celle de Vincent d'Indy chargé de la direction d'orchestre. Et, par nécessité alimentaire, il continue de jouer du piano dans les cafés de Pigalle jusqu'à trois heures du matin, parfois au Lutetia. Par chance, Henri Tomasi est un travailleur acharné ; il est doté d'une facilité d'écriture hors pair. En plus de la fugue hebdomadaire qu'exige de lui le Conservatoire, il compose pour lui-même. Mais il avoue : « J'ai ainsi fait des trucs sans intérêt qui m'ont desservi  ». Il se savait capable de beaucoup mieux. Il avait la flamme... C'est donc d'abord en tant que chef d'orchestre et en tant que compositeur d'œuvres d'inspiration corse qu'il devient célèbre. Alors que la plupart de ses confrères se font connaître en composant des pièces pour piano et des mélodies, Tomasi, lui, commence par des œuvres symphoniques. C'est d'ailleurs lui qui, en 1927, remporte le prestigieux Grand prix de Rome de Composition musicale.

2°) À vrai dire, son manque de culture générale gênait Tomasi. Son ignorance de la poésie ne le portait pas à composer des mélodies. Il était tellement plus à son aise quand il harmonisait les chansons de son île natale ! Peut-être aussi, son vocabulaire parlé de parisien frais émoulu sentait trop la sardine du Vieux Port pour plaire aux mélomanes dans le vent. Et, romantique de nature, son goût n'était guère en accord avec le néoclassicisme, cette tarte à la crème du jour. Mon hypothèse est qu'il faudra que Tomasi soit relativement mieux intégré dans le milieu cultivé parisien, pour qu'il soit en mesure de composer, non seulement d'harmoniser d'admirables chansons corses, mais de composer de véritables mélodies françaises. La création du « Triton » va lui en donner l'occasion.
 

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Je dois tout ce que je sais sur Tomasi au sympathique livre de son fils : Michel Solis, Un idéal méditerranéen Henri Tomasi, édition Albiana, 2008. Et l'exemplaire que j'ai eu en mains, gracieusement prêté, était celui dédié à mon très cher Jean-Marie Jacono.