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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Musique et société Articles La chanson populaire au cœur de l´opéra La Jeanne d'Arc de Benjamin Godard

La Jeanne de Benjamin Godard : chants religieux et chansons populaires

L'intérêt musical de la Jeanne d'Arc de Benjamin Godard est aussi important que le contexte politique qui la suscite. En effet, outre plusieurs chants religieux tels que le Te Deum, le Dies irae ou l'Adeste fideles, la partition amalgame plusieurs chansons populaires dont Je ne suis pas si vilaine avec mes sabots ou Quand Jean Renaud de guerre r'vint. La première parle de cette Lorraine à reconquérir dont, aux beaux jours du général Boulanger par exemple, les adversaires de la République se servent comme d'un bélier pour terrasser la gueuse... La deuxième chanson introduit forcément dans la partition de Godard certaines inflexions modales qui, quoique discrètes, décontenancent les oreilles d'alors. Quant à notre sensibilité esthétique à nous, elle est choquée par le pathos instrumental dont le compositeur alourdit la complainte du Roi Renaud et par la façon dont il en édulcore les paroles. Jugeons-en : de ses deux mains, le roi mortellement blessé ne retient pas ses tripes, mais seulement son sang...

Moralité :

1°) La mode du Moyen-âge n'entame en rien l'hypocrisie bourgeoise. À la fin du XIXe siècle, le mouchoir de Tartuffe est toujours d'actualité. La classe dirigeante a vengé ses quelque 1200 victimes de la Commune en exécutant, au bas mot, vingt fois plus de communards. Mais le réalisme d'une ancienne guerre qui éventre ou massacre d'une autre façon ses combattants ne lui est guère tolérable...

2°) Le retour à la foi n'ouvre nullement les oreilles qui restent accrochées à leurs habitudes tonales. Comme celles du jeune Debussy, elles ne reçoivent les modes du plain-chant que comme de la « drogue de curé ».

3°) Faut-il penser que l'affaire Schnoebelé, survenue en 1887, ait brusquement ravivé la peur de voir l'Allemagne déclencher une guerre préventive ? Le souci de ranimer l'« amour sacré de la patrie » devient en tout cas évident. Une nouvelle orchestration de la Marseillaise est commandée au directeur du Conservatoire, Ambroise Thomas. Puis, après que Léon XIII et le cardinal Lavigerie ont invité les catholiques français à se rallier à la République, Widor dédie à Jeanne d'Arc une pantomime représentée à l'Hippodrome, le 26 juin 1890 ; la Jeanne d Arc de Jules Barbier et de Charles Gounod est reprise, le 27 janvier 1891 à la Porte Saint-Martin ; enfin, une nouvelle Jeanne d Arc - celle de Joseph Fabre et de Benjamin Godard - est créée au Châtelet, le 10 juillet 1892. En dépit de sa mise en scène époustouflante, c'est un échec.

Jeanne d'Arc, mascotte de l'extrême droite...

Les républicains échouent à officialiser la fête nationale et laïque dont ils souhaitent honorer Jeanne d'Arc. Proclamée « Vénérable » par Léon III en 1894, l'héroïne lorraine est accaparée par le parti religieux. Entre 1897 et 1912, Péguy la dote d'une incomparable auréole littéraire. Désormais, Jeanne d'Arc est suspecte aux yeux de la République et de la Laïcité. À juste titre : le 16 mais 1909, le premier cortège de l'Action française s'ébranle en direction de la place des Pyramides. Point d'orgue : Jeanne d'Arc est canonisée par Benoît XV, le 16 mai 1923.

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5- La question de savoir si l'abandon de la modalité est ou non lié au recul de foi et de la pratique religieuse en l'Europe mériterait sans doute d'être posée.