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   Musique  et  société

Michel Faure
Son regard sur l'Histoire sociale de la Musique

Musique et société Articles La chanson populaire au cœur de l´opéra La Jeanne d'Arc de Benjamin Godard

LA JEANNE D’ARC DE BENJAMIN GODARD (1891)

 

Problématique : L'Histoire et la chanson populaire au service du patriotisme

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À l'heure où s'installe la IIIe République, la personnalité de Jeanne d'Arc attire l'attention. La France vient de subir une défaite humiliante, et le tout nouvel Empire allemand n'est pas de nature à la rassurer. Jeanne est un enjeu dans la formidable bataille idéologique que se livrent alors, dans toute l'Europe, non seulement les nationalismes mais le Cléricalisme et la Laïcité.

L'intronisation de Jeanne d'Arc au XIXe siècle

Le long oubli de la pucelle d'Orléans et le mépris des Encyclopédistes pour cette « idiote » manipulée par des fripons ne sont plus de saison. Les politiques, à commencer par Bonaparte, ont rétabli ses fêtes. Son héroïsme, son esprit de résistance face à l'ennemi forcent l'admiration des nations qui s'éveillent. D'autre part, la ferveur religieuse renaît ; elle gagne la bourgeoisie naguère voltairienne. Bref, les écrivains que l'itinéraire et la figure de Jeanne inspirent, sont légion à partir de la Restauration. Les peintres, les écrivains, les compositeurs (Ingres, Schiller, Liszt, Gounod, Verdi, Tchaïkovski, Péguy...) illustrent son histoire ou sa légende. Grâce à Jules Quicherat, les documents relatifs au procès de Jeanne d'Arc sont publiés entre 1841 et 1849.

La IIIe République à peine installée, les pouvoirs publics commandent au compositeur Mermet une Jeanne d'Arc, histoire de faire oublier Sedan et le traité de Francfort : il s'agit d'associer la patrie à l'inauguration de l'Opéra reconstruit par Garnier. Mais, s'il assume l'héritage des idées que les Southey, les Schiller et les Michelet se sont faites de Jeanne d'Arc, le nouveau régime incline du côté du scientisme et de la laïcité. Donc, dans cet opéra (de peu de valeur musicale par ailleurs), l'héroïne n'apparaît ni comme mystique, ni comme martyre, car le parti adverse veille et s'active. Jeanne d'Arc est une fleur du mysticisme catholique dont Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, entreprend de faire reconnaître la sainteté. Il conseille d'ores et déjà aux femmes d'aller fleurir sa statue... La République doit rester sur son terrain...

À la fois auteur du livret de l'opéra qui nous intéresse, homme politique proche de Gambetta et historien, Joseph Fabre intervient. Son ambition est de doter la France d'une fête de la Patrie qui viendrait s'ajouter au 14 juillet, fête de la Liberté. Il propose au Sénat d'inscrire cette fête au calendrier, en la fixant par exemple au second dimanche de mai, date anniversaire de la victoire de Jeanne d'Arc à Orléans.

Jeanne d'Arc héroïne de Liberté ou de la réaction cléricale ?

Naturellement les protestations fusent. Joseph Fabre n'est pas à court de flèches. En direction des gauches : c'est vraiment trop sot de croire qu'au XVe siècle Jeanne ait pu être républicaine ! En direction des droites : confisquer Jeanne d'Arc « au profit de la monarchie et de la théocratie » est aller à contre-courant de l'histoire ! Aux uns et aux autres, Fabre lance cet avertissement :

Songez-y, Messieurs: le mouvement est créé, la fête de Jeanne d'Arc sera. Si vous ne la voulez pas royaliste et cléricale, faites-en la fête de tous les Français. Vous aurez fondé la fête d'un parti si vous ne fondez pas la fête d'une nation.

Et notre zélateur de la canonisation laïque de Jeanne d'Arc d'insister : entretenons le sentiment de la patrie : c'est urgent parce que nous sommes menacés de l'extérieur par l'Allemagne, et qu'à l'intérieur même de nos frontières,

il se trouve des fanfarons du cosmopolitisme pour dire qu'il y a des intérêts de classe et pas de patrie, - vrais fanfarons certes, car si demain l'ennemi apparaissait aux frontières et que de tous les points du pays s'élevât l'appel de la patrie, eux aussi sans doute courraient aux armes et, pris par les entrailles, reniant des blasphèmes qui ne sont que du bout des lèvres, chacun d'eux s'écrirait : C'est ma mère, je la défends !

    

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4- Pour tout ceci, cf., outre J. Fabre, Les neuf ans d'un sénateur, Paris, 1903, ses interventions au Sénat des 8 mai et 8 juin 1894.